Après avoir exploré dans le premier article de la série l'impact significatif des bâtiments sur les émissions de gaz à effet de serre, je me penche maintenant sur des solutions concrètes. La norme Passivhaus se présente comme une stratégie prometteuse pour minimiser la consommation énergétique des constructions, mais comment pouvons-nous encourager les promoteurs à adopter cette approche?
Ce second volet détaille les démarches spécifiques que les villes pourraient entreprendre pour encourager l'adoption de la norme Passivhaus, en s'inspirant des incitatifs utilisés avec succès dans des villes comme Vancouver et Bruxelles. J'explore ici comment ces incitatifs, allant de modifications réglementaires à des politiques de zonage flexibles et des subventions ciblées, ont été décisifs pour stimuler les constructeurs à adopter des pratiques de construction plus durables et écoénergétiques.
Troisième étape: Concrétiser la stratégie constructive
1. Modifications réglementaires: Code de construction, politique de zonage et incitatifs
Une fois la stratégie établie, c'est-à-dire l'atteinte de standards élevés en terme d'efficacité énergétique tel la norme Passivhaus, il faut maintenant faire un plan d’action et trouver des incitatifs afin d’amener cette nouvelle vision sur le terrain. Dans la majeure partie des villes ayant pris le virage de la construction écoénergétique, cela s’est traduit par l’instauration de nouveaux règlements régissant la construction.
Petit tour d’horizon à l’international
La transition réglementaire s’est amorcée vers la fin des années 2000, alors que plusieurs villes ont pris des mesures afin de montrer la voie à l’industrie de la construction en exigeant que tous leurs projets municipaux ou gouvernementaux atteignent les standards de performance bâtiment passif. C’est d’ailleurs le cas d’un très grand nombre de villes allemandes et autrichiennes, d’Oslo et de Vancouver, pour n’en nommer que quelques-unes.
En 2015, Bruxelles a fait un pas de plus en exigeant que toutes les nouvelles constructions répondent à des normes énergétiques proches du standard passif. Plusieurs villes européennes lui ont emboîté le pas dans les années suivantes.
La plus récente à se doter d’une réglementation rigoureuse en matière de construction, c’est l’Écosse. On passe ainsi à une autre échelle que celle de la municipalité. À partir de janvier 2025, toutes les nouvelles constructions devront répondre à une nouvelle version écossaise de la norme Passivhaus, ce qui signifie qu'elles devront être très efficaces sur le plan énergétique et bien ventilées. Tout comme Bruxelles, l’Écosse introduira son propre équivalent à la norme Passivhaus afin de pouvoir faire la gestion elle-même du processus de vérification et de certification.
Ce sont là des étapes importantes dans le cadre des efforts déployés pour faire en sorte que les nouvelles constructions soient à faible émission de carbone et que leur chauffage soit peu coûteux pour les habitants.
Au Canada
De retour en terrain canadien, la Colombie-Britannique a introduit, en 2016, son nouveau code de construction afin de tracer la voie à suivre pour atteindre l’objectif d’une consommation énergétique nette nulle d'ici 2032. Divisé en 4 ou 5 étapes selon la typologie de projet, il établit de nouveaux critères quant à l’étanchéité et la consommation énergétique des bâtiments. Le tout, de manière progressive afin de permettre à l’industrie de s’adapter aux nouvelles politiques.
La plus grande modification est que ce nouveau code vise des performances énergétiques globales au lieu d’exigences normatives (telles que des valeurs R) comme c’est le cas dans le code national du bâtiment (Canada). Il devient donc nécessaire d’effectuer une modélisation énergétique du bâtiment afin d’en évaluer sa performance. Cette modélisation permet ainsi, très tôt dans le projet, d’identifier des possibilités d’amélioration et d’économies d’énergie.
La stratégie de Vancouver: miser sur les incitatifs
Suivant cet élan, la ville de Vancouver s’est penchée sur sa réglementation afin d’encourager les porteurs de projets vers cette nouvelle orientation. Elle a fait des modifications afin d’offrir comme incitatif à la construction écoénergétique, une plus grande flexibilité et certaines exemptions.
L'une des directives contribuant à cet objectif est la politique de rezonage vert (Green Rezoning Policy), qui stipule que les promoteurs souhaitant faire un changement de zonage de leur propriété pour y construire on grand projet commercial ou résidentiel doivent respecter les normes relatives aux maisons passives ou la norme LEED or, c’est-à-dire viser les plus hauts niveaux du code énergétique de la province.
D’autres aspects ont été d’offrir une plus grande flexibilité en termes de superficie d’implantation, de hauteur, de marges de recul et de forme, pour n’en nommer que quelques-unes. Ainsi, un client souhaitant construire aux standards bâtiment passif ne se voit pas pénalisé par une réduction de son espace de vie en raison de la construction de murs plus épais par la présence d’une plus grande quantité d’isolant, mais peut au contraire bénéficier d’une augmentation de la superficie de son implantation au sol.
Par exemple, le projet “The Heights”, un bâtiment d’habitation de 6 étages et 85 unités, construit en 2017, a bénéficié d’une augmentation de 5% de sa superficie en raison de sa performance énergétique de niveau Passivhaus.
Pour une lecture complète des modifications réglementaires de la ville de Vancouver, voir la section 10.23 de leur réglementation ainsi que le résumé des incitatifs.
En somme, un plus grand pouvoir a été donné au directeur de l’urbanisme afin d’accommoder d’avantages les projets visant une performance énergétique exemplaire. Mais comment s’assurer que l’équipe en charge de l’évaluation des projets à la ville comprend bien l’importance de ces nouvelles mesures?
2. Sensibilisation et éducation du personnel
Un des points clés visant à faciliter la mise en œuvre et l’application des nouvelles réglementations visant les bâtiments à zéro émission a été la formation du personnel. Encore à Vancouver, plus d’une centaine d’employés municipaux, y compris des préposés aux demandes de permis effectuant la vérification de plans, des urbanistes responsables du zonage et des inspecteurs en bâtiment ont reçu la formation “Maison passive” de l’organisme Passive House Canada. En outre, la ville emploie deux inspecteurs de bâtiments qui sont des constructeurs certifiés Maison passive, spécialement pour travailler avec les constructeurs de tous les nouveaux projets Passivhaus depuis le 1er mars 2017.
En comprenant mieux les exigences spécifiques des constructions Passivhaus, le personnel peut guider les constructeurs à travers le processus de certification et d'approbation, réduisant ainsi les obstacles réglementaires et encourageant la réalisation de bâtiments à haute performance énergétique.
La subvention de la formation des ouvriers de différents métiers a également été mise de l’avant afin de soutenir l'adoption des nouveaux standards par l'industrie locale.
3. Recherches et développements
Finalement, afin de dresser des bilans et de travailler à améliorer la stratégie constructive mise de l’avant, il est important d’analyser les bons coups afin de faire évoluer l’industrie dans la bonne direction. C’est par la recherche et le développement de nouvelles techniques que nous faciliterons l’atteinte de standards de haute performance dans la réalisation de nos projets, tout en rendant le processus plus accessible.
Projet de recherche NearZero
Suite à l’adoption en 2016 du plan pour les bâtiments à zéro émission qui définit une approche progressive pour combattre et réduire la pollution par le carbone à Vancouver, en passant à zéro émission pour la plupart des nouveaux types de bâtiments d'ici à 2030, le projet de recherche NearZero a vu le jour. Le “Near Zero Emission Building” (NZEB) vise à identifier les défis et les innovations en matière de conception et de construction pour les nouvelles constructions et les rénovations majeures visant une performance énergétique exemplaire.
Le programme vise:
Les bâtiments à faible consommation d’énergie;
Les projets de constructions ayant une faible empreinte carbone.
Il cherche également à recueillir un maximum d’information sur ces projets une fois complétés par une collecte de données.
Dans le cadre de ce programme de recherche, les candidats reçoivent un soutien financier (pouvant aller jusqu’à 20 000$ ou 40 000$ selon le type de projet) en échange duquel ils doivent fournir des informations sur la manière dont ils ont réalisé leurs réductions de carbone ou leurs économies d’énergie et sur les difficultés qu'ils ont rencontrées en cours de route. Le programme cherche également à recueillir des données sur les coûts de construction, les économies d'énergie et la performance opérationnelle afin de stimuler le développement de constructions écoénergétiques et le partage de connaissances associé.
Voir nearzero.ca pour plus de détails.
Résultats
Avec la mise en place de ces différentes stratégies, la ville de Vancouver réussit aujourd’hui à réduire sa production annuelle de Gaz à effet de serre de 12% par rapport aux niveaux de 2007. Bien que la diminution ne semble pas assez rapide pour réussir à atteindre les objectifs fixés pour 2030, la ville semble sur la bonne voie pour atteindre ses objectifs de décarbonisation des bâtiments, ce qui est une réussite en soi.
Quelques années après avoir implanté ces nouvelles mesures, le nombre de bâtiments atteignant les standards passifs a bondi. En 2015, Vancouver comptait 1 seul projet Passivhaus; en 2018, c'est plus de 2 500 unités construites ou en construction que la ville pouvait compter. Aujourd'hui, leur nombre à certainement plus de doublé. (Données du comité des bâtiments verts de Vancouver)
La situation au Québec?
En considérant les incitatifs mis en place dans différentes régions afin de faciliter l'adoption de la norme Passivhaus, il devient pertinent de se pencher sur la situation du Québec et de sa métropole. Le prochain article de la série plongera dans l'histoire et les développements récents de la politique environnementale de Montréal, depuis l'introduction de la norme québécoise NovoClimat jusqu'aux ambitions actuelles pour des bâtiments zéro émission d'ici 2040. J'examinerai comment Montréal peut s'inspirer des succès internationaux pour accélérer sa transition écologique.
Sources:
Ordre des architectes du Québec (2023). Milieux de vie durables et résilients, vidéo de formation aux membres.
BC Housing (2018). BC Energy Step Code Builder Guide.
Sarah Lewis and Sean Pander (2024). Policies That Supercharge Progress, Conference at the Reimagine Buildings'24 by Passive House Accelerator.
International Passive House Association. Passive House Legislation & Funding, https://passivehouse-international.org/index.php?page_id=501
Andrea Wickham (2020). Simplified and Expanded Zoning and Development Regulations for Passive House Projects, Referral report for the Vancouver City Council.
À propos de l'auteure:
Kim Cloutier est une architecte expérimentée avec une carrière marquée par des projets axés sur la simplicité et la durabilité. Elle est certifiée conceptrice de maisons passives et associée écologique LEED, ce qui témoigne de son engagement pour les normes élevées en matière de performance énergétique et de durabilité environnementale. Kim aspire à promouvoir un cadre de vie plus sain à travers ses projets, en mettant l'accent sur la création d'environnements sains et durables.